Annecy2012 Un combat acharné, une joie fantastique

16 semaines de préparation, plus de 600h d’entraînement et 680km parcourus et le jour J approche, enfin. On va pouvoir concrétiser et profiter du travail accompli.
Nous arrivons sur Annecy le samedi après-midi avec un couple d’amis, la copine court le semi.
C’est un peu le bazar pour le retrait des dossards, 17h c’est l’heure de pointe.
Après ce passage obligé un peu longuet nous retrouvons un autre couple qui court le semi puis, au RDV convenu, Jérôme (Amenhi) et Pierre (Plusloin) qui brandit fièrement son tee-shirt du team en signe de ralliement. Nous allons faire connaissance autour d’un verre de jus de fruit. J’ai eu grand plaisir à vous rencontrer, compagnons de route.
RDV est pris demain à 8h à l’entrée du sas des 3h15.
Après une bonne nuit de sommeil de 4h, je me prépare et à 7h30 je quitte l’hôtel.
Tenue correcte exigée : cuissard, tee-shirt manches longues, pull troué, sac poubelle, pancho bleu à capuchon pointu, semi-lutin, semi-schtroumpf je rase les murs du centre ville en fuyant les regards moqueurs. Mais j’ai chaud.
Je passe par les toilettes, je fais tomber tous mes produits embarqués, je retrouve Robin que je prends pour Arno, je crois reconnaître Spirou31 « ah non c’est pas moi », bref, je suis super zen.
Pierre et Arno (le vrai) sont là, prêts à en découdre, l’attente du départ passe du coup assez vite. J’ôte mon déguisement et retrouve toute ma fierté en tenue de coureur, H-2 minutes.

Mon vieux record est de 3h25’20 et j’ai couru mon dernier marathon en novembre en 3h29’00. Mais, après 8 semaines d’entraînement pour améliorer ma VMA j’ai constaté de gros progrès et j’ai décidé de viser un objectif un peu fou de 3h20. J’ai travaillé à cette allure cible en AS42. Mes ratios allure/FC à l’entraînement sont excellents mais je me connais assez bien et je me méfie de ce cardio qui me voit plus beau que je ne suis.

Et c’est parti. 20s pour passer la ligne, ça frotte un peu au début, j’essaye de me caler derrière Pierre qui suit son GPS mais il me semble que ça part un peu vite.
1er km en 4’57 ! ! Hou là !! Déjà 13s de perdues. Bon, j’en mets un peu plus. 2ème km 4’28 ! ! Je doute de l’emplacement des panneaux.
Que faire ? Je suis perdu. Je me sens super à l’aise, je poursuis en restant prudent.
5km 22’54 au lieu de 23’40. Je me calme un peu, je me méfie, ça avance, sans effort.
10km 46’01 pour 47’20 ! ! Je suis très à l’aise et le drapeau des 3h15 n’est que 40s devant.
Vers le 13ème km je jette un coup d’œil en arrière au panneau des 31. A toute à l’heure. Une très jeune coureuse me double allègrement, chapeau. (EDIT :elle finira 1ère Espoir Féminine )
Le passage sous un long tunnel est très agréable. Plus de pluie, un véritable havre de paix, une douce parenthèse.
15 km 1h09’15 pour 1h11 ! ! 1’45 d’avance sur le plan. Le drapeau est tout près, 30s.
Qu’est-ce que je fais ? Je fais un petit effort pour me caler derrière ? Je préfère rester un peu en retrait et attendre, à l’affût. J’imagine le scénario incroyable de l’arrivée sous les 3h15.
Je me reprends, je ressasse ce qui sera mon leitmotiv : « Ici et Maintenant ».
Ne pense pas à l’arrivée, ne pense qu’à ce que tu dois faire maintenant, gérer l’allure, préparer le prochain ravitaillement.
Les ravito sont postés de façon un peu irrégulière mais j’arriverai à gérer mes prises de solide et de liquide en attrapant des bouteilles à la volée.
On croise les premiers, je les encourage vivement, ça détend.
On va attaquer la boucle avant le retour et ça commence déjà à être dur. Mon marathon commence très tôt.
Après 15km entre 4’35 et 4’40, je tourne maintenant en 4’45, à l’allure cible.
20km 1h32’59, 1’41 d’avance.
Passage au Semi 1h38’24, sur les bases de 3h17. Je suis parti trop vite, je vais le payer, va falloir être costaud.
1’38 d’avance. Je suis déterminé, je veux garder mon coussin protecteur, j’en remets un coup.
Je trouve la boucle interminable. Heureusement sur la fin il y a du monde.
25km 1h56’40. J’ai tourné en 4’44. C’est bien. 1’40 d’avance.
Je suis dans le dur. J’entends « Jean-Michel ? ». C’est Arno (noldi) qui me double super frais, une vraie gazelle. Tu m’as bluffé Arno, chapeau.
Je croise Jérôme qui a l’air de souffrir, je lui hurle mes encouragements.
Il me reste encore 17km. C’est énorme.
A partir de là commence un combat, une lutte harassante contre les km, contre l’envie de lâcher.
Je pense au conseil de Robin : « quand ça devient dur, laisse ton cerveau au bord de la route ».
Ne penser qu’à une chose, le prochain panneau. Je calcule sans cesse pour me "débrancher".
Quel temps au prochain panneau pour être dans la cible ? Combien d’avance sur l’objectif ?
Mon avance décroît, km après km. 26ème 1’30. 27ème 1’20. Je me remotive. 28ème 1’13. 29ème 1’08.
30km. Pour la première fois je marche un peu 4-5 secondes au ravito, j’ai besoin de relâcher un tout petit peu. 55s d’avance. Haarrrgh je suis passé sous la minute. Allez plus que 12km ; 1h de course. Pu..., une heure quand même, c’est gigantesque.
31km 45s. 32ème je ne sais plus. J’ai passé le 33ème ? Non.
35km ma belle avance a fondu comme neige sous la pluie d’Annecy, plus que 21s. Oui mais 21s sur 4’44/km soit 3h19’43. J’ai un bonus de 17s.
C’est si dur. J’ai 10 fois 20 fois envie de lâcher. Je me raccroche aux diablotins. C’est le Robin’s challenge qui me fait tenir. On a dit 5 diablotins.
Vers le 36ème km un coureur me double pas trop vite. J’ai décidé d’en faire ma bouée de sauvetage.
Je m’accroche. Il s’aperçoit de ma présence sur ses flans et semble m’autoriser à l’accompagner, on fait équipe pour arriver au bout.
Et là nous sommes comme 2 voitures en course poursuite sur l’autoroute (à 12.5kmh ) on double. A droite, à gauche, voir entre 2 coureurs, je me faufile et prends une crampe au bras. Je relâche 1s ou 2.
C’est dur mais on avance. On quitte la piste pour longer la route, la descente fait un bien fou et permet d’accélérer.
Il faut atteindre le parking avant le centre, après c’est le circuit d’arrivée.
40km je suis passé dans le rouge, 35s de retard moins ma marge, 18s de retard.
Ca va être trop juste. Autant d’effort pour échouer. J’ai envie de lâcher une demi seconde.
Mais non , ça sert à quoi d’avoir tenu jusque là. Va jusqu’au bout, on verra. Compte sur ton sprint final. Tu peux reprendre 30s sur le denier km.
Mon acolyte me distance. Il a dû accélérer. Je ne peux pas le suivre.
On passe au dessus du canal. Je connais la fin du parcours, j’ai couru le semi l’année dernière.
41km. Mes supporters sont là. Je souffre, j’imagine l’arrivée, l’émotion me prend la gorge. Je ne dois pas les regarder, je vais craquer.
41km400 au passage près de la passerelle j’entends les encouragements, je lance la machine à fond.
Donner tout ce qu’il reste. Il nous reste toujours des ressources. Je peux finir fort. Je l’ai déjà fait.
Je file entre les coureurs. Mon compagnon s’aperçoit que je le double, il me suit.
Le chemin est étroit mais je suis étonnamment assez lucide pour me faufiler habilement.
Avant dernier virage. 2 types en orange devant moi. Je les dévore.
Dernier virage avant les 125 derniers mètres. Je regarde mon chrono. 3h19’20. C’est gagné.
Je vais le faire. Je lève le poing dans un cri rageur « ET ALORS » (sous-titre : j'y suis arrivé ou pas).
Les spectateurs me répondent dans une clameur inattendue.
Je fais signe des 2 mains de monter le son. Ils crient encore plus fort. C’est le grand kif de mon marathon.
Je décide de me taper un dernier sprint à fond, pour le plaisir et pour soulager mes petits nerfs.
Ca y est. 3h19’47. C’était chaud. Ca a été si dur. J’ai bien cru que c’était foutu.
On me tape dans le dos amicalement. C'est Dominique, mon ami des derniers km. On se félicite. Reconnaissance mutuelle. Je le remercie avec force : "Je n'y serais jamais arrivé sans toi. Merci."
Un gars m’interviewe « vos impressions ? ». Avachi contre une barrière je réponds « chuis mort ». Désolé je n’ai pas eu la force de trouver autre chose.
Je vais vers le ravito mais à l’entrée je me penche contre la table, j’ai le souffle coupé. L’émotion + la fatigue. J’ai la tête qui tourne. Une bénévole m’appelle un secouriste. Je suis limite. J’accepte la chaise à roulettes.
Ils m’emmènent au poste de secours, me donnent un coca, une barre de céréales et une couverture. Je sens la chaleur revenir. Après 3 minutes je retrouve la forme. A côté de moi se tient un coureur élite qui souffre de la jambe. Ils ont aussi des défaillances.
J’ai complètement retrouvé mes esprits et je peux cette fois aller me ravitailler, rassurer ma femme qui ne me voyait pas arriver et, me changer au sec.
Bon sang que ça a été dur. Un combat acharné, une lutte incessante pendant une bonne heure et demi, contre moi-même.
Pardon mais, qu’est-ce que je suis fier de moi. J’ai accompli mon exploit.

Merci d’avoir partagé ce moment avec moi.

Jean-Michel, ton CR m'a réellement donné des frissons!

J'avoue que j'aurais presque aimé le lire sans connaître ton temps final, afin de profiter un peu du suspens jusqu'à la fin. Mais là encore sur ce CR QUEL CARACTERE!

Se battre pendant une bonne heure et demi sans lâcher, et finir fort dans son objectif, ce n'est pas donné à tout le monde. Beaucoup aurait craqué et lâché leur objectif. Je te décerne le trophée du !!!!! 5/5!

Vous avez tous fait de grosses grosses perf ce week end donc toutes mes félicitations pour ton chrono, mais surtout pour ton combat. Je prendrai exemple sur vous dans le futur!

Amicalement,

Un grand CR !
J'ai adoré le "Avachi contre une barrière je réponds « chuis mort ». Désolé je n’ai pas eu la force de trouver autre chose."

Et franchement admiratif de ta perf parce que ne rien lacher quand on commence à baisser dès le 20ème et trouver les ressources mentales pour aller te vider les tripes sur les derniers kilo pour reprendre 30'', c'est une leçon pour moi.

(J'avais courru Annecy il y a 3 ans sous un grand soleil et j'avais eu du mal au milieu de la boucle, sauf que moi j'avais complétement explosé et fini en 3h25 quand je visais 3h05...)

Encore une fois bravo pour la course. tu t'es donné et t'es arrivé dans les temps 3h20 peut être un jour j'y arriverai aussi

Quelle course et quel détermination !! C'est beau !
Moi qui te voyait facile sur les 3h20 au vu de ta préparation et de tes ratios (78 à 79% à AS42 à l'entrainement), on voit bien que cela reste des estimations et un marathon est toujours un combat !! Bravo avoir tenu ce rythme jusqu'au bout, car tu as du faire la grimace pendant de nombreux. un grand BRAVO à toi !

Et merci pour ce superbe CR ! Tu sais nous faire revivre tes émotions de course !!

C'était la journée des diables à Annecy. Incroyable. En te lisant je me disais que tu n'allais pas, que tu ne pouvais pas réussir; Chapeau bas pour cette formidable démonstration de volonté.