6'30'',1500m: Science Fiction ou Fantasy? by Acera
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6'30'',1500m: Science Fiction ou Fantasy? by Acera a été créé par acera
Posted il y a 12 ans 6 mois #169308
Au commencement des temps, Acéra ne courrait pas.
Beau brun ténébreux de 94kg, cet oiseau rare dont le plumage resplendissait d'un reflet ocre, couleur nicotine, flânait de ville en ville pour y trouver un abris. Nuits après nuits, sans plus de soucis, s'en suivit sa vie. Mais quelle horreur d'errer de triste humeur. Aux crépuscules, les couleurs pâlissaient puis s'estompaient pour laisser place aux soupirs de l'animal.
Un jour, alors qu'il ne s'était toujours pas trouvé demeure pour y conjurer son malheur, Acéra prit la route des contrées abandonnées, à la recherche de son destin. De chemins détournés en sentiers alambiqués, c'est en fin d'après-midi, ou plutôt de matinée, qu'il rencontra un vieil homme âgé d'une centaine d'années.
« Comment t'appelles-tu jeune étranger ?
_ Acéra Messire, puis-je vous aider en quoique ce soit ? Vous semblez inquiet et fatigué vieillard.
_ Effectivement, ma route fut bien longue pour parvenir jusqu'à toi.
_ Vous me cherchiez ? Vous devez faire erreur, bafouilla Acéra, je ne...
_ Suffit ! Le temps presse, nous ne pouvons nous permettre de palabrer. Il est fort possible qu'ils soient d'ors et déjà sur la piste. Ils me recherchent, ils te recherchent, même s'ils ne le savent pas encore !
_ Moi ? Mais...
_ Ils arrivent ! Tiens, chausse cette paire de running et cours droit devant toi jusqu'à l'aube ! Surtout, ne t'arrête pas, ne te retourne pas, sinon il ne viendra pas. »
Un cor retentit au travers de la forêt broussailleuse. Acéra eut l'impression, mais sans pouvoir l'affirmer, que le ciel derrière les branches des arbres s'était assombri et l'atmosphère devenue plus épaisse et moite.
« _ Cours Acéra ! Cours !
_ Mais qui es-tu vieil homme ? Et comment pourrais-je trouver l'homme que tu m'indiques ?
_ Cesse cela ! Ce n'est pas un humain, il te trouvera si tu ne le vois... Quant à moi, je suis ton destin. Maintenant, cours ! »
Sans réellement comprendre pourquoi, ni même s'en rendre compte, Acéra se mit à courir à travers bois, comme si une force invisible le propulsait de l'avant pour l'éloigner d'un danger imminent.
Il courra vite, très vite. Il n'avait plus conscience de son environnement, les feuilles des arbres lui sifflaient aux oreilles tandis que leurs branches l'assaillaient de toute part, le fouettaient, le griffaient, le giflaient. De la douleur, Acéra n'en eut cure. Sa seule préoccupation était de fuir ce surréaliste entendu.
Mais pourquoi courrait-il ? N'avait-il jamais fait autre chose que de courir dans sa vie ? La simple action de courir avait-elle un sens ? Il lui semblait que ce verbe avait pris une toute autre dimension. Désormais, vivre, courir et mourir se conjuguaient en un seul et même temps, le passé n'existait plus, le présent et le futur étaient mêlés en une constance fluide.
Soudain, un fracas assourdissant lui parvint, le ramenant à la réalité physique et matérielle du monde. Des hurlements de terreur se firent entendre. L'entrechoquement des armures doublé de la rage des cuivres annonça l'arrivée de la cavalerie. Les hennissements des bêtes rajoutaient à sa vision auditive une perspective alarmante au décor. Des explosions tonnèrent, des arbres s'arrachèrent, les chevaux se déharnachèrent, la Terre trembla l'espace d'un instant puis le monde se tut, plus un bruit... Le lien invisible qui le propulsait disparut subitement, le cordon était coupé. Le paysage fut figé pendant d'interminables secondes. Quel brusque retour à la réalité ! Fallait-il s'arrêter d'avancer ?
C'est ce qu'allait décider Acéra, cesser cette absurde frénésie vers l'avant, vers un probable mur où l'encastrement semblait inévitable, lorsqu'un rire machiavélique lui glaça le sang encore bouillonnant. La nostalgie s'abattit sur lui comme un trait, Acéra ressentit ce vide au tréfonds de ses entrailles et tout espoir de revoir l'aube une nouvelle fois se dissipa. Cette même aube qu'il avait tant maudit durant de longues années, cette même aurore qu'il aima subrepticement, son rayonnement fantasmé jusque là tant négligé. Sans ce lien qui l'enlaçait et l'accompagnait dans sa végétation, les doutes s'emparèrent de lui. Il ne pouvait continuer comme avant, la situation avait évolué, charge à lui de trouver les moyens pour tenir, tenir, tenir jusqu'aux premières lueurs du jour, ou se décharger à l'aube de son crépuscule.
Un mot...
Une injonction prit sens dans les méandres de ses pensées embrumées. « Cours ! » Ne pas s'arrêter, ne pas se retourner, la fin de partie en dépend. Et ce choix, il est le seul à en prendre acte, il est défini. Certes. Cependant, l'accès qui mène à la prise de conscience peut être perturbé, endommagé par la fuite. Ne pas s'arrêter, ne pas se retourner, être lucide de sa souffrance pour mieux la dompter, pour apprivoiser la suite des événements, y faire face sereinement, consciencieusement, être à la hauteur de son choix, accepter d'être soi. Cette voix, c'était la sienne, même s'il lui semblait que la tonalité avait vieilli, que son souffle rendait son dernier râle. Cette voix est désormais ancrée, attachée, liée à jamais, ils ne font plus qu'un.
Cette nuit là, Acéra parcourut quinze cents mètres en neuf minutes et trente secondes, seul en compagnie de cette voix de plus en plus familière.
Il arriva exténué dans une carrière pleine de rocailles, d'un gris cadavérique telle une vieille institution mise en jachère par manque de discernement. Sa course se termine ici.
Dans l'angle gauche d'un dolmen jonché de lichen, un rayon de soleil lui éblouit le visage en sueur. Le ciel d'un bleu outremer resplendissait. Ce monochrome provoquait un effet de profondeur étourdissant. C'en est fini ! Son agonie interminable fit place à la renaissance. Un second souffle de vie si profondément incrusté dans ses poumons qu'il sut immédiatement qu'il ne pourrait plus jamais s'en défaire, une lucidité bienveillante. Il y était arrivé ! Mais il était bien loin de se douter que toute fin est, de fait, synonyme de commencement.
Acéra se réveilla sur un tas d'herbe fraîche, la rosée lui dégoulinait de la tempe à la joue pour venir se déverser entre des lèvres asséchées. Il ouvra un œil, puis le second. La lune était déjà au zénith, combien d'heures avait-il dormi ? D'heures ? Peut être fallait-il penser en terme de journée, il n'aurait pu le dire, il ressentait à nouveau cette sensation de constance temporelle, de plénitude absolue.
Son regard fut attiré par un amas lumineux. Dépourvu d'une forme distincte, l'ensemble se dirigeait vers lui jusqu'à venir lui effleurer les yeux. Ce devait être elle, la chose annoncée par le vieillard, sûrement, ou bien peut être était-il encore allongé à même le sol en train de rêver... Le fait est qu'il devait y faire face, quoique ce fut.
Sans un mot, l'échange dura une éternité, une interconnexion s'était enclenchée. L'interaction fut intense, l'un luttait pour sauvegarder son intégrité tandis que l'autre réorganisait chaotiquement des chaînes neuronales pour y développer un dédale cérébral. Une tour de Babel était en cours de production. La lutte était inefficace, derrière chaque mur qu'Acéra avait la force de démolir, un rempart s'érigeait, derrière le rempart, une forteresse. Abattu, il cessa le combat en se jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendrait plus.
Au petit matin, recroquevillé sur un monceau de verdure, Acéra se réveilla la tête comme une enclume. Une sacrée gueule de bois que voilà, il eut à peine le temps de maudire une soirée trop arrosée dont il ne souvenait pas. Pas un seul détail de cette débâcle mais elle avait dû avoir lieu, en tout cas, son crane en avait bien été le terrain sur lequel le carnage s'était produit. Il eut à peine le temps de la maudire car il ne tarda pas à voir arriver, sur un char attelé, un gnome vilainement accompagné d'un sanglier en armure terne.
« Oyez, manant ! commença le gnome. Je ne sais par quel miracle vous avez été sollicité mais, si j'étais vous, j'accélérerais quelque peu, vu votre apparence, ils ne feront qu'une bouchée de vous ! Hahaha, il y en a, on se demandera toujours d'où ils sortent ? Hein, Jean-Pierre ! »
Suite à un grognement hilare du suidé, le tandem repartit sur la route après avoir prit soin de jeter aux pieds d'Acéra un parchemin d'allure miteuse.
Acéra fit sauter le sceau marqué d'un E et d'un N majuscule pour découvrir le message de l'Espérance Noria.
« Convocation à la mer :
Vous avez été sélectionné pour participer à notre grand concours dans le but de favoriser le développement de notre système d'irrigation nationale et ce dans le cadre de l'intervention humaine des dispositions culturelles attendues et étendues dans votre secteur. Vous êtes donc instamment prié de vous présenter dans le quatrième cercle, sortie Bêta, pour y recevoir vos attributs.
Tout manquement fera l'objet de poursuite afin de vous consigner jusqu'à la circonvolution du septième cercle.
Veuillez accepter, Monseigneur A., nos encouragements les plus sincères quant à votre survie.
Le président post-recruteur de l'EN. »
L'engrenage était rouillé, Acéra le savait, mais lorsqu'il s'était déclenché, plus rien ne pouvait s'y opposer et, cela aussi, il le savait. Il eut une brève pensée en se jurant d'arrêter l'alcool mais, encore une fois, il ne pouvait se souvenir de quoi que ce soit, à peine une mise en garde d'un vieillard lui expliquant de se méfier de l'Aberlour et de se concentrer sur son nombre de tour.
Expulsant cette idée parasite de son esprit, il se mit en route en essayant de ne penser à rien. Ce n'était pas le moment de se lamenter sur son sort, la priorité était tout de même de trouver ce foutu cercle et ensuite faire en sorte d'en repérer trois autres.
C'est alors que le périple d'Acéra commença réellement.
Il est bien à considérer que cet énergumène n'avait conscience de quoi que ce soit qui se soit produit les jours précédents, ni vieil homme, ni rire machiavélique, ni lueurs maléfiques ou bienfaitrices, ni aurore ou rayons de soleil. Non, juste un gnome et son sanglier puant.
Acéra reprit alors ses bonnes vieilles habitudes et erra en direction de nul part, en espérant tout de même comprendre le sens de cette convocation qui ne semblait pas être une prescription à prendre à la légère.
Il marcha, le temps passait. Il marchait, le temps se dilua.
Encore soumis aux relents de la veille, il tomba dans une chute infinie. À chaque palier, le sol s'écroula pour qu'il puisse continuer sa descente aux Enfers. De multiples paysages se cristallisaient devant lui avant d'éclater vers un palier inférieur.
C'est ainsi qu'il découvrit l'Enceinte Fermée et qu'il dut jouer des pourcentages avec des Trolls pour leur faire comprendre que leur petitesse d'esprit n'est pas fonction linéaire de leur bêtise, c'est beaucoup plus compliqué que cela, les précipitations ont un réel impact en ce cas précis. Selon le taux d'humidité, un Troll dit « normal » peut avoir une débilité accrue de 80 à 85 % et, en de rares occasions, il peut même atteindre les 90 % de connerie.
Il vit aussi passer quelques Vamps Maculées d'Arsenic qui telles les sirènes d'Ulysse se gorgent d'amour incertain.
Enfin, Acéra tomba nez à nez avec l'Assemblée Spéculative.
Il était arrivé à terme, l'Assemblée allait statuer sur son sort, voir à quelle allure ils pourraient commencer l'hypothèque de ses membres, de son mental, de sa lucidité quant à s'en sortir vivant.
Acéra abandonna...
Il n'y comprenait plus rien, une seule question lui venait à l'esprit :
« Dans quel cercle dites-vous ?
_ Comment ça, quel cercle ? Lisez le règlement, monsieur ! Vous faites bien parti du Cercle Circonvenu des Adeptes de la Promenade. Ne vous moquez pas, vous êtes déjà en retard. Le départ est programmé pour 9h30. »
Acéra se retourna et vit se dessiner autour de lui une arène d'architecture Gallo-romaine.
Vêtu d'un simple pagne verdi par l'herbe, il regarda timidement ses pieds et s'aperçut qu'ils étaient toujours chaussés de running étincelantes. C'est alors qu'il comprit.
Un éclair de lucidité le fit regarder à droite. Un Troll massif semblait être en train de réfléchir, malheureusement, ce jour était chaud et sec. À son côté, un Gobelin en train de s'échauffer à la corde à sauter. À sa gauche, Acéra reconnut ce malpropre de sanglier accoutré de son armure poisseuse et vit, à la corde, un elfe accompagné de quelques nymphes et d'une dryade. Acéra n'eut pas le temps d'assembler ces différents éléments en un tout cohérent qu'une trompette, renommée pour l'occasion Trompette de la mort, sonna le glas !
Tous les concurrents appuyèrent sur le champignon et partirent à toute berzingue. La connexion n'étant toujours pas établie, Acéra décida d'en faire de même et mit, tant bien que mal, un pied devant l'autre. Le tartan était doux et soyeux mais, dans ce monde d'illusion, mieux vaut ne pas trop y prêter attention car la plus douce des mélodies pourrait soudainement se transformer en crissement de métal. C'est d'ailleurs à ce moment précis, après les deux cents premiers mètres effectués en 51 secondes, que ce satané sanglier, pris soudainement d'une montée de chaleur, se délesta de son armure écrasant ainsi une ou deux escort-nymphes de l'elfe. Le massacre avait commencé !
N'ayant pas compris l'enjeu de l'exercice, et donc la distance à parcourir, Acéra accéléra pour s'éloigner du sanglier moite, non pas par peur de se faire écraser mais parce que ce dernier, déambulant dans un marcel délavé, avait décoché sa seconde arme secrète, la bien nommée odeur de la défaite. Acéra courut donc cette deuxième tranche de deux cents mètres en 48 secondes. Il était sauf, ainsi que l'elfe qui finalement sera parti seul devant sans demander son reste.
Afin d'accentuer sa sécurité olfactive, Acéra mit 50 secondes de plus pour arriver au bout de deux cents autres mètres. Mais le naturel revient au galop :
« Qu'est-ce que je fous là ?!? »
Le temps de réussir à intérioriser cette simple phrase, la course se déroulait avec encombres. 58 secondes, 1 minute, 59 secondes... Six cents mètres... Six cents mètres au bout desquels on ne comprend toujours pas ce qu'on fout là. Une chose est sûre, on souffre et il faut aller jusqu'au bout. Mais qu'est-ce que le bout lorsque l'on tourne en rond ?
Ding ! Il reste trois cents mètres à parcourir, la stratégie est simple, il n'y en a pas. On essaye d'accélérer, on donne tout pour ne pas se faire rattraper par un sanglier édenté qui fulmine derrière en hurlant « Je vais te manger ! Je vais te manger ! ».
La sueur dégouline, on lève les yeux et le menton au ciel pour avoir quelques millilitres de dioxygène supplémentaires. 54 secondes ! L'accélération a eu lieu, il reste cent mètres avant la délivrance ! Mais que ce passera-t-il après cette ligne imaginaire ? Quel a été le but de tout cela ? Les cent derniers mètres se déroulèrent en 26 secondes, 26 longues secondes où le surréalisme prit définitivement le dessus. Un mastodonte hallucinant ! Une grosse masse de Troll qui écrasait tout sur son passage et un Gobelin sur ses épaules tenant d'une main la corde à sauter, enroulée autour du cou de l'énorme chose, et de l'autre un chapeau de Texan et hurlant comme un charretier dépassèrent Acéra à toute blinde lors des dix derniers mètres...
6'46'' !
Les membres de la délégation arrivaient munis d'un tampon et à l'aide d'un grand coup de botte dans le derrière virèrent ce pauvre Acéra du quatrième cercle, avec en énorme, marqué sur le front : « FAILED ! »
Les jours passèrent.
Ne voulant plus entendre parler d'histoires Troll, Acéra faisait grise mine. Mais qu'était-il donc allé faire dans cette carrière ?
Vous l'aurez bien compris, depuis ce jour, il erre encore et toujours mais, à chaque fois qu'il croise un vieux, un Troll, un Gnome ou même des sangliers, Acéra change de trottoir.
Et cela lui aura évité bien des histoires...
Beau brun ténébreux de 94kg, cet oiseau rare dont le plumage resplendissait d'un reflet ocre, couleur nicotine, flânait de ville en ville pour y trouver un abris. Nuits après nuits, sans plus de soucis, s'en suivit sa vie. Mais quelle horreur d'errer de triste humeur. Aux crépuscules, les couleurs pâlissaient puis s'estompaient pour laisser place aux soupirs de l'animal.
Un jour, alors qu'il ne s'était toujours pas trouvé demeure pour y conjurer son malheur, Acéra prit la route des contrées abandonnées, à la recherche de son destin. De chemins détournés en sentiers alambiqués, c'est en fin d'après-midi, ou plutôt de matinée, qu'il rencontra un vieil homme âgé d'une centaine d'années.
« Comment t'appelles-tu jeune étranger ?
_ Acéra Messire, puis-je vous aider en quoique ce soit ? Vous semblez inquiet et fatigué vieillard.
_ Effectivement, ma route fut bien longue pour parvenir jusqu'à toi.
_ Vous me cherchiez ? Vous devez faire erreur, bafouilla Acéra, je ne...
_ Suffit ! Le temps presse, nous ne pouvons nous permettre de palabrer. Il est fort possible qu'ils soient d'ors et déjà sur la piste. Ils me recherchent, ils te recherchent, même s'ils ne le savent pas encore !
_ Moi ? Mais...
_ Ils arrivent ! Tiens, chausse cette paire de running et cours droit devant toi jusqu'à l'aube ! Surtout, ne t'arrête pas, ne te retourne pas, sinon il ne viendra pas. »
Un cor retentit au travers de la forêt broussailleuse. Acéra eut l'impression, mais sans pouvoir l'affirmer, que le ciel derrière les branches des arbres s'était assombri et l'atmosphère devenue plus épaisse et moite.
« _ Cours Acéra ! Cours !
_ Mais qui es-tu vieil homme ? Et comment pourrais-je trouver l'homme que tu m'indiques ?
_ Cesse cela ! Ce n'est pas un humain, il te trouvera si tu ne le vois... Quant à moi, je suis ton destin. Maintenant, cours ! »
Sans réellement comprendre pourquoi, ni même s'en rendre compte, Acéra se mit à courir à travers bois, comme si une force invisible le propulsait de l'avant pour l'éloigner d'un danger imminent.
Il courra vite, très vite. Il n'avait plus conscience de son environnement, les feuilles des arbres lui sifflaient aux oreilles tandis que leurs branches l'assaillaient de toute part, le fouettaient, le griffaient, le giflaient. De la douleur, Acéra n'en eut cure. Sa seule préoccupation était de fuir ce surréaliste entendu.
Mais pourquoi courrait-il ? N'avait-il jamais fait autre chose que de courir dans sa vie ? La simple action de courir avait-elle un sens ? Il lui semblait que ce verbe avait pris une toute autre dimension. Désormais, vivre, courir et mourir se conjuguaient en un seul et même temps, le passé n'existait plus, le présent et le futur étaient mêlés en une constance fluide.
Soudain, un fracas assourdissant lui parvint, le ramenant à la réalité physique et matérielle du monde. Des hurlements de terreur se firent entendre. L'entrechoquement des armures doublé de la rage des cuivres annonça l'arrivée de la cavalerie. Les hennissements des bêtes rajoutaient à sa vision auditive une perspective alarmante au décor. Des explosions tonnèrent, des arbres s'arrachèrent, les chevaux se déharnachèrent, la Terre trembla l'espace d'un instant puis le monde se tut, plus un bruit... Le lien invisible qui le propulsait disparut subitement, le cordon était coupé. Le paysage fut figé pendant d'interminables secondes. Quel brusque retour à la réalité ! Fallait-il s'arrêter d'avancer ?
C'est ce qu'allait décider Acéra, cesser cette absurde frénésie vers l'avant, vers un probable mur où l'encastrement semblait inévitable, lorsqu'un rire machiavélique lui glaça le sang encore bouillonnant. La nostalgie s'abattit sur lui comme un trait, Acéra ressentit ce vide au tréfonds de ses entrailles et tout espoir de revoir l'aube une nouvelle fois se dissipa. Cette même aube qu'il avait tant maudit durant de longues années, cette même aurore qu'il aima subrepticement, son rayonnement fantasmé jusque là tant négligé. Sans ce lien qui l'enlaçait et l'accompagnait dans sa végétation, les doutes s'emparèrent de lui. Il ne pouvait continuer comme avant, la situation avait évolué, charge à lui de trouver les moyens pour tenir, tenir, tenir jusqu'aux premières lueurs du jour, ou se décharger à l'aube de son crépuscule.
Un mot...
Une injonction prit sens dans les méandres de ses pensées embrumées. « Cours ! » Ne pas s'arrêter, ne pas se retourner, la fin de partie en dépend. Et ce choix, il est le seul à en prendre acte, il est défini. Certes. Cependant, l'accès qui mène à la prise de conscience peut être perturbé, endommagé par la fuite. Ne pas s'arrêter, ne pas se retourner, être lucide de sa souffrance pour mieux la dompter, pour apprivoiser la suite des événements, y faire face sereinement, consciencieusement, être à la hauteur de son choix, accepter d'être soi. Cette voix, c'était la sienne, même s'il lui semblait que la tonalité avait vieilli, que son souffle rendait son dernier râle. Cette voix est désormais ancrée, attachée, liée à jamais, ils ne font plus qu'un.
Cette nuit là, Acéra parcourut quinze cents mètres en neuf minutes et trente secondes, seul en compagnie de cette voix de plus en plus familière.
Il arriva exténué dans une carrière pleine de rocailles, d'un gris cadavérique telle une vieille institution mise en jachère par manque de discernement. Sa course se termine ici.
Dans l'angle gauche d'un dolmen jonché de lichen, un rayon de soleil lui éblouit le visage en sueur. Le ciel d'un bleu outremer resplendissait. Ce monochrome provoquait un effet de profondeur étourdissant. C'en est fini ! Son agonie interminable fit place à la renaissance. Un second souffle de vie si profondément incrusté dans ses poumons qu'il sut immédiatement qu'il ne pourrait plus jamais s'en défaire, une lucidité bienveillante. Il y était arrivé ! Mais il était bien loin de se douter que toute fin est, de fait, synonyme de commencement.
Acéra se réveilla sur un tas d'herbe fraîche, la rosée lui dégoulinait de la tempe à la joue pour venir se déverser entre des lèvres asséchées. Il ouvra un œil, puis le second. La lune était déjà au zénith, combien d'heures avait-il dormi ? D'heures ? Peut être fallait-il penser en terme de journée, il n'aurait pu le dire, il ressentait à nouveau cette sensation de constance temporelle, de plénitude absolue.
Son regard fut attiré par un amas lumineux. Dépourvu d'une forme distincte, l'ensemble se dirigeait vers lui jusqu'à venir lui effleurer les yeux. Ce devait être elle, la chose annoncée par le vieillard, sûrement, ou bien peut être était-il encore allongé à même le sol en train de rêver... Le fait est qu'il devait y faire face, quoique ce fut.
Sans un mot, l'échange dura une éternité, une interconnexion s'était enclenchée. L'interaction fut intense, l'un luttait pour sauvegarder son intégrité tandis que l'autre réorganisait chaotiquement des chaînes neuronales pour y développer un dédale cérébral. Une tour de Babel était en cours de production. La lutte était inefficace, derrière chaque mur qu'Acéra avait la force de démolir, un rempart s'érigeait, derrière le rempart, une forteresse. Abattu, il cessa le combat en se jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendrait plus.
Au petit matin, recroquevillé sur un monceau de verdure, Acéra se réveilla la tête comme une enclume. Une sacrée gueule de bois que voilà, il eut à peine le temps de maudire une soirée trop arrosée dont il ne souvenait pas. Pas un seul détail de cette débâcle mais elle avait dû avoir lieu, en tout cas, son crane en avait bien été le terrain sur lequel le carnage s'était produit. Il eut à peine le temps de la maudire car il ne tarda pas à voir arriver, sur un char attelé, un gnome vilainement accompagné d'un sanglier en armure terne.
« Oyez, manant ! commença le gnome. Je ne sais par quel miracle vous avez été sollicité mais, si j'étais vous, j'accélérerais quelque peu, vu votre apparence, ils ne feront qu'une bouchée de vous ! Hahaha, il y en a, on se demandera toujours d'où ils sortent ? Hein, Jean-Pierre ! »
Suite à un grognement hilare du suidé, le tandem repartit sur la route après avoir prit soin de jeter aux pieds d'Acéra un parchemin d'allure miteuse.
Acéra fit sauter le sceau marqué d'un E et d'un N majuscule pour découvrir le message de l'Espérance Noria.
« Convocation à la mer :
Vous avez été sélectionné pour participer à notre grand concours dans le but de favoriser le développement de notre système d'irrigation nationale et ce dans le cadre de l'intervention humaine des dispositions culturelles attendues et étendues dans votre secteur. Vous êtes donc instamment prié de vous présenter dans le quatrième cercle, sortie Bêta, pour y recevoir vos attributs.
Tout manquement fera l'objet de poursuite afin de vous consigner jusqu'à la circonvolution du septième cercle.
Veuillez accepter, Monseigneur A., nos encouragements les plus sincères quant à votre survie.
Le président post-recruteur de l'EN. »
L'engrenage était rouillé, Acéra le savait, mais lorsqu'il s'était déclenché, plus rien ne pouvait s'y opposer et, cela aussi, il le savait. Il eut une brève pensée en se jurant d'arrêter l'alcool mais, encore une fois, il ne pouvait se souvenir de quoi que ce soit, à peine une mise en garde d'un vieillard lui expliquant de se méfier de l'Aberlour et de se concentrer sur son nombre de tour.
Expulsant cette idée parasite de son esprit, il se mit en route en essayant de ne penser à rien. Ce n'était pas le moment de se lamenter sur son sort, la priorité était tout de même de trouver ce foutu cercle et ensuite faire en sorte d'en repérer trois autres.
C'est alors que le périple d'Acéra commença réellement.
Il est bien à considérer que cet énergumène n'avait conscience de quoi que ce soit qui se soit produit les jours précédents, ni vieil homme, ni rire machiavélique, ni lueurs maléfiques ou bienfaitrices, ni aurore ou rayons de soleil. Non, juste un gnome et son sanglier puant.
Acéra reprit alors ses bonnes vieilles habitudes et erra en direction de nul part, en espérant tout de même comprendre le sens de cette convocation qui ne semblait pas être une prescription à prendre à la légère.
Il marcha, le temps passait. Il marchait, le temps se dilua.
Encore soumis aux relents de la veille, il tomba dans une chute infinie. À chaque palier, le sol s'écroula pour qu'il puisse continuer sa descente aux Enfers. De multiples paysages se cristallisaient devant lui avant d'éclater vers un palier inférieur.
C'est ainsi qu'il découvrit l'Enceinte Fermée et qu'il dut jouer des pourcentages avec des Trolls pour leur faire comprendre que leur petitesse d'esprit n'est pas fonction linéaire de leur bêtise, c'est beaucoup plus compliqué que cela, les précipitations ont un réel impact en ce cas précis. Selon le taux d'humidité, un Troll dit « normal » peut avoir une débilité accrue de 80 à 85 % et, en de rares occasions, il peut même atteindre les 90 % de connerie.
Il vit aussi passer quelques Vamps Maculées d'Arsenic qui telles les sirènes d'Ulysse se gorgent d'amour incertain.
Enfin, Acéra tomba nez à nez avec l'Assemblée Spéculative.
Il était arrivé à terme, l'Assemblée allait statuer sur son sort, voir à quelle allure ils pourraient commencer l'hypothèque de ses membres, de son mental, de sa lucidité quant à s'en sortir vivant.
Acéra abandonna...
Il n'y comprenait plus rien, une seule question lui venait à l'esprit :
« Dans quel cercle dites-vous ?
_ Comment ça, quel cercle ? Lisez le règlement, monsieur ! Vous faites bien parti du Cercle Circonvenu des Adeptes de la Promenade. Ne vous moquez pas, vous êtes déjà en retard. Le départ est programmé pour 9h30. »
Acéra se retourna et vit se dessiner autour de lui une arène d'architecture Gallo-romaine.
Vêtu d'un simple pagne verdi par l'herbe, il regarda timidement ses pieds et s'aperçut qu'ils étaient toujours chaussés de running étincelantes. C'est alors qu'il comprit.
Un éclair de lucidité le fit regarder à droite. Un Troll massif semblait être en train de réfléchir, malheureusement, ce jour était chaud et sec. À son côté, un Gobelin en train de s'échauffer à la corde à sauter. À sa gauche, Acéra reconnut ce malpropre de sanglier accoutré de son armure poisseuse et vit, à la corde, un elfe accompagné de quelques nymphes et d'une dryade. Acéra n'eut pas le temps d'assembler ces différents éléments en un tout cohérent qu'une trompette, renommée pour l'occasion Trompette de la mort, sonna le glas !
Tous les concurrents appuyèrent sur le champignon et partirent à toute berzingue. La connexion n'étant toujours pas établie, Acéra décida d'en faire de même et mit, tant bien que mal, un pied devant l'autre. Le tartan était doux et soyeux mais, dans ce monde d'illusion, mieux vaut ne pas trop y prêter attention car la plus douce des mélodies pourrait soudainement se transformer en crissement de métal. C'est d'ailleurs à ce moment précis, après les deux cents premiers mètres effectués en 51 secondes, que ce satané sanglier, pris soudainement d'une montée de chaleur, se délesta de son armure écrasant ainsi une ou deux escort-nymphes de l'elfe. Le massacre avait commencé !
N'ayant pas compris l'enjeu de l'exercice, et donc la distance à parcourir, Acéra accéléra pour s'éloigner du sanglier moite, non pas par peur de se faire écraser mais parce que ce dernier, déambulant dans un marcel délavé, avait décoché sa seconde arme secrète, la bien nommée odeur de la défaite. Acéra courut donc cette deuxième tranche de deux cents mètres en 48 secondes. Il était sauf, ainsi que l'elfe qui finalement sera parti seul devant sans demander son reste.
Afin d'accentuer sa sécurité olfactive, Acéra mit 50 secondes de plus pour arriver au bout de deux cents autres mètres. Mais le naturel revient au galop :
« Qu'est-ce que je fous là ?!? »
Le temps de réussir à intérioriser cette simple phrase, la course se déroulait avec encombres. 58 secondes, 1 minute, 59 secondes... Six cents mètres... Six cents mètres au bout desquels on ne comprend toujours pas ce qu'on fout là. Une chose est sûre, on souffre et il faut aller jusqu'au bout. Mais qu'est-ce que le bout lorsque l'on tourne en rond ?
Ding ! Il reste trois cents mètres à parcourir, la stratégie est simple, il n'y en a pas. On essaye d'accélérer, on donne tout pour ne pas se faire rattraper par un sanglier édenté qui fulmine derrière en hurlant « Je vais te manger ! Je vais te manger ! ».
La sueur dégouline, on lève les yeux et le menton au ciel pour avoir quelques millilitres de dioxygène supplémentaires. 54 secondes ! L'accélération a eu lieu, il reste cent mètres avant la délivrance ! Mais que ce passera-t-il après cette ligne imaginaire ? Quel a été le but de tout cela ? Les cent derniers mètres se déroulèrent en 26 secondes, 26 longues secondes où le surréalisme prit définitivement le dessus. Un mastodonte hallucinant ! Une grosse masse de Troll qui écrasait tout sur son passage et un Gobelin sur ses épaules tenant d'une main la corde à sauter, enroulée autour du cou de l'énorme chose, et de l'autre un chapeau de Texan et hurlant comme un charretier dépassèrent Acéra à toute blinde lors des dix derniers mètres...
6'46'' !
Les membres de la délégation arrivaient munis d'un tampon et à l'aide d'un grand coup de botte dans le derrière virèrent ce pauvre Acéra du quatrième cercle, avec en énorme, marqué sur le front : « FAILED ! »
Les jours passèrent.
Ne voulant plus entendre parler d'histoires Troll, Acéra faisait grise mine. Mais qu'était-il donc allé faire dans cette carrière ?
Vous l'aurez bien compris, depuis ce jour, il erre encore et toujours mais, à chaque fois qu'il croise un vieux, un Troll, un Gnome ou même des sangliers, Acéra change de trottoir.
Et cela lui aura évité bien des histoires...
Last Edit:il y a 12 ans 6 mois
par acera
Dernière édition: il y a 12 ans 6 mois par acera. Raison: orthographe
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Réponse de padawann sur le sujet Re: 6'30'',1500m: Science Fiction ou Fantasy? by Acera
Posted il y a 12 ans 6 mois #169320
j'ai rien compris mais le récit est sympa !
ce n'est pas très bien de se gaver d'hydromel avant d'écrire !
ce n'est pas très bien de se gaver d'hydromel avant d'écrire !
par padawann
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Réponse de Latraviata sur le sujet Re: 6'30'',1500m: Science Fiction ou Fantasy? by Acera
Posted il y a 12 ans 6 mois #169322
Bravo que d'imagination...tu es un raconteur hors pair!
par Latraviata
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Réponse de Mus sur le sujet Re: 6'30'',1500m: Science Fiction ou Fantasy? by Acera
Posted il y a 12 ans 6 mois #169325
Beau récit.Très bonne qualité rédactionnelle. Quelle imagination
@Padawann: Acera y raconte son périple qui a duré des mois, pour affronter l'Assemblée Spéculative , sur convocation de l'Espérance Noria.
as tu compris ?
j'ai bien aimé l'expression "Vamps Maculées d'Arsenic " on ne peut pas trouver mieux pour définir cette VMA
@Padawann: Acera y raconte son périple qui a duré des mois, pour affronter l'Assemblée Spéculative , sur convocation de l'Espérance Noria.
as tu compris ?
j'ai bien aimé l'expression "Vamps Maculées d'Arsenic " on ne peut pas trouver mieux pour définir cette VMA
par Mus
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- fred ouille sv
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Réponse de fred ouille sv sur le sujet Re: 6'30'',1500m: Science Fiction ou Fantasy? by Acera
Posted il y a 12 ans 6 mois #169330
super , et tu as couru seulement 7 min je n'imagine pas si tu cours un marathon !!! Nous aurons trois pages à lire !
J'adore le début , on sent que le délire est tout proche ...Merci pour ce moment !
J'adore le début , on sent que le délire est tout proche ...Merci pour ce moment !
par fred ouille sv
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Réponse de Seb35 sur le sujet Re: 6'30'',1500m: Science Fiction ou Fantasy? by Acera
Posted il y a 12 ans 6 mois #169334
Là, je suis sans voix !
par Seb35
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