S'équiper pour la course à pied

CR de l'Ultra Boucle des Ballons (204km)

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CR de l'Ultra Boucle des Ballons (204km) a été créé par ynwa

Posted il y a 4 ans 3 mois #515010
CR U2B 2020 ou quand tu te prépares à l’U2B* avant de te préparer à la Mil’Kil**.

(*U2B : 204km non stop et 4800m de D+, week-end des 11 et 12 juillet)
(**Mil'Kil : 1002km entre Saint-Malo et Sète, en non stop, du 14 juin au 23 juin)

Lors de la période qui a succédé au confinement, je suis passé de vingt kilomètres quotidiennement à des enchaînements de sorties de quarante à soixante kilomètres en configuration Mil’Kil en solo comme il était alors prévu que je la fasse. Cela signifie que je portais un sac à dos de course contenant le matériel de rechange l’alimentation et les boissons pour être suffisamment autonome entre deux villages où je pourrais alors me ravitailler. Entre quatre et six kilogrammes de charge sur le dos, ça abaisse considérablement l’allure de déplacement ainsi je me suis habitué à cette « lenteur ».
J’ai eu un coup de chance de trouver un assistant au dernier moment sur la Mil’Kil et donc je pensais que toutes mes sorties en mode escargot-qui-porte-sa-maison-sur-son-dos avaient été inutiles. Mais au final, la Mil’Kil s’est bien passée et j’ai rebondi de suite sur la récupération « à ma façon », c’est à dire un seul jour de repos forcé, pour cause de retour en camionnette, pour repartir sur une mini préparation à la tournée des ballons qui m’attendait. Plus besoin de faire du très long et pas nécessaire de refaire de la vitesse, simplement faire guérir les petites ampoules qui étaient apparues lors des trois ou quatre derniers jours de la Mil’Kil, ampoules qu’on aurait pu qualifier de leds comparées à celles qu’ont eues d’autres Mil’Killers.

Donc, quand je prends le départ de l’U2B, j’ai le sac à dos chargé – délesté toutefois des affaires placées dans des drop-bags et déposées aux CP 5 et 7 – l’entraînement physique et mental et plus aucune séquelle ressentie de ma traversée entre Saint-Malo et Sète d’il y a moins de vingt jours.
Il est 5h30, j’arrive à pied de l’hôtel du centre de Munster où nous avons dormi Jean-Benoît, William, Christian, Sylvain et moi – le club des cinq version Bretagne – j’ai à peine le temps de saluer les nombreuses connaissances présentes elles aussi pour la même aventure et c’est le départ donné par Christophe, le maître de cérémonie assisté de ses patrouilleurs et cantiniers. Nous avions reconnu la veille lors d’un footing de décrassage les deux premiers kilomètres « à l’envers » et j’avais bien senti qu’on descendait doucement vers Munster. Ces deux kilomètres, il faut les refaire dans le bon sens cette fois et je constate que ça monte mais en partant tranquillement j’y arrive bien et peux saluer quelques coureurs et discuter avec ceux que je n’ai pas encore vus. Je repère le fléchage qui est bien visible pour sortir de Munster et quand arrive la gendarmerie et le carrefour où l’on prend la direction du premier col, là, je me dis « Dans quel pétrin tu t’es mis, mec ! ». Cette montée fait huit kilomètres et chacun d’eux est marqué avec l’indication de l’altitude et du pourcentage de pente jusqu’au suivant. Du 7 % sur la plus grande partie de cette première escalade, je décide d’alterner course et marche. Beaucoup m’ont demandé avant la course si j’avais bien récupéré de ma Mil’Kil, je leur avais répondu que ça allait mais que ce serait lors de la course que je pourrais mieux m’en rendre compte et, à ce moment de l’aventure, je constate que je n’ai pas de difficultés particulières, pas de gêne musculaire ou de douleurs résiduelles aux pieds. Mon poids de corps a baissé de cinq kilogrammes dans les deux semaines qui ont suivi l’arrivée à Sète et mon sac à dos est lourd mais moins qu’initialement prévu, de ces faits, mon allure n’est pas si lente que je l’avais craint. J’avais planifié ma course par tranches de vingt kilomètres, chacune correspondant grosso modo à l’intervalle séparant deux postes de ravitaillement et je m’étais fixé trois heures pour aller d’un CP à l’autre. Mon objectif final était de mettre entre trente et trente-deux heures ne sachant pas quels impondérables allaient bien pouvoir me tomber sur le coin du nez.

Une certaine hiérarchie s’est déjà dégagée mais tout le monde sait que les positions des uns et des autres peuvent fluctuer très rapidement alors je laisse faire : ceux qui sont devant sont devant et ceux qui sont derrière sont derrière et moi je fais ma course. Il y a des bons grimpeurs qui sont de piètres descendeurs et inversement et d’autres bons partout. Je franchis le Collet du Linge, premier des seize cols au menu, en à peine 1h30. Je suis trempé de sueur malgré le temps frais mais agréable. Dans la montée, j’ai pu admirer la vallée et les pâturages alentours, j’ai aussi apprécié les parties forestières, quelques chalets typiques apparaissant au gré des lacets. Cette zone a connu la guerre et de nombreuses traces des batailles passées parsèment notre route, un cimetière par-ici, une stèle par-là. La descente vers le Col du Wettstein n’est pas très prononcée et je la dévale à mon rythme de 9,5-10km/h sans chercher à revenir sur ceux de devant ni à rester au contact de ceux qui me dépassent. Il n’y a que quatre kilomètres de descente et ensuite ça repart pour une quinzaine de bornes en montée. J’aurai le temps de reprendre ceux qui montent moins bien. J’ai toujours quelqu’un en vue, soit devant, soit derrière que je vois au gré des lacets. Quelque part c’est un peu rassurant. Je profite des montées pour manger une banane ou une barre de céréale que j’ai emportées avec moi, je bois régulièrement de l’eau pure ou de l’eau avec du sirop de fraise. Quelques petits morceaux de bravoure viennent pimenter la sauce comme cette rampe à 14 % un peu avant le passage au CP 1 du lac Noir. Ce ravitaillement, j’y passe après seulement 2h21 de course pour 19 kilomètres, j’ai quarante minutes d’avance sur mon cut-off mental, ma barrière horaire personnelle et je n’y reste que pour remettre de l’eau et du sirop dans mes bouteilles, grignotant quelques friandises au passage, mais comme je porte sur moi une partie de mon propre ravitaillement, je préfère manger ce que j’ai emporté quand je serai en côte. Jusqu’au CP 2, au kilomètre 40, la route alterne des montées douces et des descentes peu pentues si bien que je trouve une allure qui ne me fatigue pas. Je ressens néanmoins quelques raideurs au niveau des quadriceps sans doute dues au cumul des efforts fournis lors des huit kilomètres de montée initiaux et peut-être aussi dues aux séquelles cachées de ma Mil’Kil. Je franchis le Col du Calvaire en 2h55’ (kilomètre 23) puis celui de la Schlucht en 4h21’ (kilomètre 35,4). Il n’est pas encore dix heures du matin et il y a déjà du monde, des randonneurs, des motards, des skieurs à roulettes et des clients en terrasse des bars dont mon ami Gérard Denis, qui fait la course en trottinette, attablé à siroter une bière en compagnie de Stéphanie et d’Esther. Prochaine étape, le CP 2 au Pied du Hohneck, kilomètre 40. J’y arrive après 4h52’ de course et ne m’y arrête que cinq minutes à peine. Comme pour le CP 1, je n’ai pas besoin de beaucoup me ravitailler préférant emporter avec moi ce que je pourrai manger en marchant. Du coup j’ai un peu plus d’une heure d’avance sur mon cut-off personnel. Mais je sais que plus tard ça sera moins facile d’assurer moins de trois heures pour faire vingt bornes, alors j’en profite pour engranger et on verra plus tard.

Depuis la Schlucht on est sur la Route des Crêtes et le profil est modérément bosselé jusqu’au moment où l’on doit dévaler la Route des Américains : ça descend jusqu’à Kruth mise à part une petite remontée vers le Col de Bramont (kilomètre 49,7 passé en 6h04’). Le CP 3 est situé à Kruth et une modification de dernière minute nous fait douter quelques temps avant que Patrick un patrouilleur vienne nous informer que le parcours reprendra son itinéraire normal plus loin. Au CP 3, kilomètre 62 atteint en 7h21’ je m’arrête un peu plus longuement pour refaire le plein et essayer de manger quelque chose qui me fasse vraiment envie. Des fruits secs, une demie banane, une compote, un riz au lait, mais ça ne passe que très moyennement. J’en déduis que je n’ai pas si faim que ça, mais mieux vaut quand même constituer des réserves au cas où l’hypoglycémie surviendrait. J’emporte donc de quoi manger dans la montée de sept kilomètres qui nous attend. Lors de mon arrêt au CP 3, je me fais dépasser par une coureuse que je ne reconnais pas immédiatement : Claire Bannwarth, la trentaine mais qui en paraît beaucoup moins, qui est partie avec près d’une heure de retard en raison d’une panne de voiture. Je reste au contact visuel quelques kilomètres avant de ne plus la voir du tout. Elle court à une belle allure et ne semble pas fatiguée. Je ne ressens plus mes douleurs aux quadriceps, mais je commence à être gêné par la chaleur des rayons du soleil. Il est midi. Je suis toujours avec les trois ou quatre mêmes coureurs dans les parages. Certains autres, je les ai rattrapés, dépassés et ils ne se sont pas accrochés. Peut-être les reverrai-je dans la nuit. La montée vers le Col d’Oderen est ombragée et cela atténue un peu le pourcentage de pente qui avoisine les 6 %. Je fais la bascule en 8h34’ pour 70 kilomètres. Ça ne descend pas longtemps et l’ascension du Col du Page est assez raide sur près de deux kilomètres. 9h pour 73 kilomètres et voilà une longue descente qui se profile pour rallier Saint-Maurice-sur-Moselle situé au kilomètre 84. Là se trouve le CP 4 où je stoppe un quart d’heure. J’ai mis 10h20’ pour y arriver, ayant contrôlé ma descente à 7 minutes 15 secondes au kilomètre et je constate que j’ai encore accentué mon avance sur mon objectif personnel (1h40’ - 15’ = 1h25’de marge). L’escalade du Col du Ballon d’Alsace ne s’annonce pas facile, une dizaine de kilomètres avec une pente de 6 à 7 %. Je mets 1h38’ pour faire les 9,4 kilomètres du CP 4 au Col et heureusement que la montée est en partie boisée donc ombragée, mais la difficulté ne réside pas dans les pourcentages, plutôt dans ces crétins au volant ou au guidon de leurs bolides qui se prennent pour des pilotes automobiles de rallye ou des motards de circuit et qui déboulent à fond dans les virages de cette montée au Ballon d’Alsace. Quand j’entends les rugissements des bolides sauvages, je me réfugie parfois sur les bas-côtés assourdi par le bruit et tétanisé par le danger qu’ils créent. La police n’est pas partout, les cons si. Enfin en haut ! Il y a des bars et des restaurants où tout ce petit monde d’abrutis s’est donné rendez-vous. Je vais peut-être pouvoir descendre tranquillement vers le CP 5 les huit bornes qui m’attendent. Passage au Ballon d’Alsace en 12h12’ (kilomètre 93), puis descente soft pendant cinq kilomètres avant que la pente ne s’accentue un peu plus. J’ai hâte d’être au CP 5 car il marque la moitié de l’U2B et les quarante kilomètres suivants ne sont pas à première vue très effrayants. J’arrive au Pont sur l’Alfeld après 13h07’ de course au kilomètre 102 environ et je suis bien. Je mange une soupe préparée par les cantiniers, un gâteau de semoule et quelques bricoles, mais je n’ai pas un gros appétit. On verra ça au CP 7. Mon drop-bag ne me sert à rien, je suis en avance de deux heures sur mon cut-off mental et donc il devrait faire jour au moins jusqu’au CP 6 où je sortirai de mon sac à dos la frontale, la lampe clignotante rouge et le gilet de sécurité pour la nuit. Pour l’instant, je constate que j’ai rattrapé plusieurs coureurs qui prennent plus de temps que moi au ravitaillement, mais aussi que d’autres arrivent de l’arrière. Certains repartent néanmoins avant moi et je commence à regretter ces quinze minutes passées à me ravitailler. Mais je reprends vite le contrôle en me disant qu’il ne faut pas tenir compte des autres, l’objectif numéro un restant celui d’atteindre l’arrivée. Le chrono et la place seront les myrtilles sur le gâteau. Ça descend pendant quatre kilomètres après le ravitaillement et ce n’est pas plus mal car je ne fais pas d’efforts pour repartir. Virginie a pris le relais de son papa, Gérard, et elle est toute fraîche. On bavarde brièvement quand elle se porte à ma hauteur et on s’encourage mutuellement. Nicolas, Anthony, Gilles, Christian F, Jean-Michel, Nathanaël, Nicolas, Philippe… tous sont dans les parages et nous allons souvent nous revoir car les écarts ne sont pas conséquents. La voie verte sur laquelle nous arrivons à la sortie de Sewen est bienvenue, on va pouvoir courir tranquillement sans crainte de se faire ennuyer par des automobilistes indélicats. J’ai toujours quelqu’un en vue, devant et derrière, même si je ne me retourne que très rarement, cela me permet de relâcher l’attention et la foulée se fait plus fluide. Je marche parfois quelques centaines de mètres pour récupérer et anticiper ce qui ne tardera pas à arriver, la montée vers le col du Schirm, la courte descente vers le CP 6 à Bourbach-le-Haut et la nouvelle remontée vers le col du Hundsrück. Au CP 6 atteint en 15h43’ pour 120 kilomètres, je ne m’arrête qu’une douzaine de minutes pour essayer de manger du camembert avec du pain de mie, mais ça ne passe pas très bien, alors je prends un riz au caramel. Les bolinos étant trop longs à attendre, je fais l’impasse et repars vers le col suivant. Je commence à piocher et dans la montée je cours ou marche à un peu plus de six à l’heure, mais comme mon avance était encore supérieure à deux heures au sortir du CP 6 je ne me fais pas trop de bile. Je franchis ce nouveau col après 16h29’ de course pour 124 kilomètres à peine et la descente qui suit s’avère être assez pentue. Je dois faire attention à bien contrôler pour ne pas me retrouver à ne plus pouvoir ralentir au risque de me blesser. C’est boisé et peu à peu je dois mettre la frontale quand les sous bois sont trop sombres. Mon gilet jaune enfilé à Bourbach ainsi que ma lumière clignotante rouge me donnent le sentiment d’être protégé car bien vu et ça me fait remarquer que certains sont beaucoup moins visibles. A l’entrée de Bitschwiller-lès-Thann je m’arrête le long d’une propriété sur le muret de laquelle je défais mon sac à dos pour en sortir de quoi me couvrir. Il y a des lampadaires, je prends tout mon temps, trop de temps, si bien que plusieurs coureurs passent, tous ceux que j’ai doublés avant le col ou dans la descente. Je repars après un quart d’heure d’arrêt et je me retrouve bien malin car n’arrivant plus à trouver aussi aisément mon chemin qu’avant. C’est que d’avoir relâché l’attention sur le road-book m’a aussi fait perdre la lucidité qui faisait que je savais où j’étais. La traversée du village puis les nombreux changements de directions qui suivent s’avèrent pénibles, un patrouilleur me confirme que je suis sur la bonne voie, et m’indique où il faudra tourner un peu plus loin. A Thann, arrive ce qui devait arriver : je rate la bifurcation vers la gauche dans ce labyrinthe urbain, je ne vois pas le fléchage qui n’est soit pas visible facilement soit inexistant alors que c’est là où il aurait fallu qu’il soit multiplié par deux. Donc je file au lieu de tourner et après une grosse dizaine de minutes à hésiter sur la direction à prendre, je rebrousse chemin pour voir où j’avais pu me tromper. Je rencontre Françoise qui m’indique que je ne suis pas le seul à avoir « jardiné » dans Thann et elle m’indique la route que j’aurais dû prendre au lieu de filer tout droit. Là, le mental en prend un coup mais après un rapide calcul, je vois que je n’ai pas perdu trop de temps dans l’histoire. Je retrouve Gilles qui lui aussi avait vendangé et nous avançons ensemble jusqu’au CP 7 qui semble interminable à atteindre.

Il est 0h38’ et ça fait 19h08’ de course pour 141 kilomètres. Là, m’attend la longue montée vers le Grand Ballon. Mon arrêt d’un peu plus d’un quart d’heure me permet de manger un peu mais ce qu’il y a de proposé ne m’inspire pas, alors je prends une banane et un gâteau de riz au chocolat que je dégusterai plus tard dans la longue montée. Je remplis mes deux gourdes de 850ml, l’une d’eau et l’autre d’eau et de sirop. Il n’y a pas de café, dommage, et pas de soupe non plus. Dépité, je repars avant les copains restés un peu plus longtemps à se changer, se reposer et à se ravitailler. Moi, je ne veux pas traîner, j’ai l’impression d’avoir déjà assez perdu de temps comme ça surtout après les erreurs de parcours de Thann. Je mangerai plus tard. Donc d’un pas décidé je commence la montée en espérant pouvoir alterner course et marche assez fréquemment et pour cela je me mets à compter les lignes blanches discontinues : je cours pendant cinq lignes et je marche pendant cinq autres lignes. J’ai l’habitude de « jouer » à ce genre de jeu quand je suis sur des ultras et que je ne parviens plus à garder un rythme régulier de course. Et en pleine nuit, il n’y a pas d’autres points de repères sinon les bornes kilométriques dont l’espacement me fait penser que quelqu’un s’est amusé à allonger les kilomètres qui paraissent alors longs comme le double. Au bout d’un moment ça me gonfle et je me mets à marcher plus fréquemment et plus longtemps jusqu’à ne plus faire que ça. Je mange ma banane puis mon gâteau de riz et bois régulièrement. J’essaie de tenir le 6 km/h, je ne me rends plus trop compte de l’allure à laquelle je progresse, mais je progresse. Peu à peu le sommeil vient perturber mon avancée et je commence à somnoler, parfois je me surprends à zigzaguer et à brusquement me sortir de la torpeur qui m’envahit. Je cherche un coin pour me reposer et essayer de piquer un petit roupillon d’un quart d’heure mais les aires de pique-nique ou de stationnement ne sont pas légion et là où ça peut être intéressant il n’y a pas de banc ou de table. J’enchaîne les lacets quand soudain j’aperçois dans un virage en épingle des billes de bois. Je m’y assois et pose ma tête sur mes bras croisés sur les genoux. Je dois dormir par fractions de deux ou trois minutes, je commence à avoir un peu froid, mais je me repose. Je me réveille brusquement quand les phares d’un des rares véhicules empruntant cette route viennent m’éblouir. Le véhicule s’arrête peu après le virage et quelqu’un en sort pour me demander si ça va. C’est un véhicule des ravitailleurs qui remonte vers la tête de la course pour aller relayer l’équipe présente au CP 8 en haut du Grand Ballon. Je leur dis que ça va mais que j’étais en train de dormir. Il repart et moi je suis réveillé, alors je repars aussi et constate que ça va mieux, que le sommeil ne m’appelle plus. Je retrouve quelques jambes quand je passe le col de Silberloch car la route se met à descendre. Je cours, oui, je cours, je suis content car je n’ai pas oublié ce que c’est que de courir. Ça ne dure pas, mais ça m’a reboosté pour entamer la dernière partie de la montée au col du grand Ballon. J’aperçois au loin des lumières comme si c’étaient des frontales au détour d’un virage en épingle à moins que ce ne soit le fruit de mon imagination. Un véhicule arrive de l’arrière et se porte à mes côtés : c’est David Antoine, le photographe de la course qui m’a déjà interviewé plusieurs fois depuis le départ. Je lui fais part de mon mal être, de mon envie de dormir, je suis dans un état second, je suis revenu en mode zombie. Pendant que je lui parle, il me filme. J’aimerais tant boire un café lui dis-je. Il m’encourage et repart en me laissant seul dans ma grimpette interminable et en m’ayant dit qu’il allait voir ce qu’il pouvait faire. De le voir me transforme car je prends conscience que le sommet n’est pas très loin. En kilomètres certes, mais à cinq à l’heure je vais devoir m’armer de patience. Heureusement que je ne ressens aucun douleur ni aucune gêne. Physiquement je vais très bien, juste l’envie de courir dans la côte s’est émoussée. Et celle-là pique un peu car du 8 % à cette heure de la nuit, ça vous scotche un gaillard au bitume. Quelques temps après un véhicule arrive face à moi. C’est David qui m’apporte du café qu’il est allé chercher au col. Je n’en crois pas mes yeux, j’ai l’impression de rêver, mais quand j’en bois quelques gorgées accompagnées de pain d’épices, faute de sucre, je me sens tout de suite revigoré. Je remercie chaleureusement mon sauveur et repars de plus belle vers le sommet. J’aperçois de manière plus précise et certaine des lampes devant, ce sont des coureurs que j’ai peu à peu rattrapés depuis le CP 7. J’arrive en haut, à ce CP 8 du col du Grand Ballon qui s’est tant fait désirer. Ça fait 23h30’ que le départ a été donné et je suis content d’avoir couru 162 kilomètres en moins de 24 heures. Il ne reste plus qu’un marathon, une paille ! Je me ravitaille et reprends un café, ne charge pas trop mes bouteilles car dans la descente je n’aurai pas le temps de boire et je n’aurai pas soif sans doute non plus. Une dizaine de minutes pour me refaire la cerise, le jour commence à se lever, le paysage aux alentours est magnifique avec la plaine d’Alsace et ses lumières urbaines scintillantes et au fond, un horizon rouge-violacé. Quelques astres brillent encore intensément, une demie Lune m’a accompagné pendant la montée quand le couvert végétal laissait filtrer sa lueur rougeâtre. Là, avec l’horizon pour limites, j’entame ma longue course poursuite avec mon objectif qui est de faire moins de 30 heures et non plus entre 30 et 32 heures. Je suis devenu gourmand, mais les premiers kilomètres vont me donner raison car je cours à une allure qui me plaît bien sans douleurs musculaires ni gênes au niveau des pieds. J’ai un peu froid, mon buff autour du cou parvient à peine à empêcher la fraîcheur d’atteindre mon cou, mon bonnet fin me protège les oreilles, mais les gants qui sont au fond du sac et pas sur mes mains me manquent un peu. Pas le temps de s’arrêter, je suis trop bien, tant pis pour les mains gelées. Je rattrape tout à tour des coureurs comme Gilles, Angel, Sylvain avec qui je discute un peu puis que je laisse car étant trop bien pour arrêter de courir. La route remonte un peu avant le col du Platzerwaesel mais les pourcentages ne m’effraient pas et je relance la machine. Prochaine étape : le dernier CP à Sondernach au kilomètre 183. Avant cela il y a la descente dont près de sept kilomètres à 8 ou 9 % ce qui me force à ralentir pour rester maître de mon véhicule qui aurait l’air malin s’il coinçait là. J’y arrive après 26h24’ de course. Je m’y ravitaille sommairement, recharge mes gourdes, emporte quelques bricoles à grignoter mais n’y reste pas plus de six ou sept minutes. La montée vers le Petit Ballon, dernier col de la course doit faire dix kilomètres et je souhaite ne pas mettre trop de temps pour l’effectuer. Bon, je marche quand même beaucoup, les zones exposées aux rayons du soleil sont nombreuses alors je joue à « je cours jusqu’à la prochaine ombre puis je marche jusqu’à celle d’après ». Il n’y a pas grand monde dans les environs et je peux donc me mettre sur le côté droit de la route. Je tiens un bon 6km/h et avec mon jeu le temps passe assez vite. J’extrapole quelques données et me rends compte que je pourrais arriver avant onze heures du matin à Munster si je ne chôme pas surtout que dans la descente je devrais quand même bien avancer. Pour les 10h30 et donc les moins de 29 heures, je n’ai pas envie de m’arracher pour échouer à cinq minutes au risque de me faire mal. On gérera ça une fois là-haut, au Petit Ballon qui commence d’ailleurs à se faire désirer. J’y parviens enfin en 28h12’ pour 193 kilomètres. Allez Fab, plus que 11 kilomètres à peine ! me dis-je. Mais là, ça se complique tout de suite un peu car la route n’est pas belle, elle est très pentue et il y a beaucoup de voitures, ainsi que des cyclistes. Il ne m’est pas souvent possible de me réfugier sur les bas-côtés et comme les automobilistes ne sont pas tous très sympas ils ne s’écartent pas systématiquement. Je rencontre des personnes qu’il m’est agréable de voir ou de revoir, Olivier et Sandra déjà rencontrés la veille, et d’autres qui m’encouragent. La descente sur la route principale prend fin mais les quelques hectomètres qui suivent sont tout aussi méchants. Tout en bas de la dernière descente, portion à 14 %, je ne vois pas de flèches et je remarque par terre une sorte de marquage mais un peu différent de celui que j’ai pris l’habitude de voir sur le parcours. J’hésite, dois-je tourner ou rester sur la route principale ? Je m’engage mais fais demi-tour, n’apercevant pas de flèche confortant cet itinéraire. Erreur qui m’amène à jardiner une nouvelle fois et heureusement que je reconnais certains lieux où je suis passé la veille, et me retrouve à quelques centaines de mètres de la gare et du parc. Je ne veux pas rebrousser chemin, je me rallonge et onze heures sonne aux églises de Munster ? J’arrive enfin au parc, dans le mauvais sens et finis la course un peu énervé par ce peu de lisibilité du marquage alors qu’on n’est plus trop lucide. Mais j’ai mal lu et encore plus mal interprété le road-book alors je ne dois jeter la pierre à personne. La prochaine fois, je ferai plus attention. Mon arrivée est un peu gâchée, mais je ne suis jamais très expansif quand je termine une course et je ne me vois pas faire comme les footballeurs et glisser sur mes genoux pour marquer mon bonheur d’être enfin arrivé à bon port. Attention quand même à ne pas trébucher pour aller toucher les pieds de Poséidon, j’aurais gagné le cocotier si j’étais tombé à l’eau. Je touche ses pieds puis vais me ravitailler d’une petite bière fraîche.

29h36’16s pour les 204km (je ne compte pas le rab qui n’est pas si important que ça), je suis 13ème sur 50 partants et une quarantaine d’arrivants. 9ème homme, 2ème M60. Sachant que trois femmes occupent les trois premières places (dont deux qui ont mis moins de 24h et ont donc amélioré le meilleur chrono de l’an dernier) et qu’une quatrième a déjà fini, je suis content d’avoir terminé cette course qui restera dans les annales.

PS : à aucun moment je me suis dit « plus jamais ça » même si j’ai galéré à m’orienter. Ce ne fut pas facile, mais pas extrêmement difficile non plus. Certaines conditions étaient propices à ce que la course se déroule bien. Et à tous ceux qui m’ont demandé à un moment quelconque de la course ou avant si j’avais bien récupéré de la Mil’Kil, je répondrai après coup que la Mil’Kil m’a servi de préparation à l’U2B. Je ne sais pas si j’aurais été capable de gérer la course comme je l’ai fait là si je n’avais pas accumulé les bornes en juin avec tout un tas de conditions plus ou moins défavorables.

à+ynwa
par ynwa
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Réponse de Patrick57 sur le sujet CR de l'Ultra Boucle des Ballons (204km)

Posted il y a 4 ans 3 mois #515019
(A nouveau) Bravo Fabrice pour ton U2B !! ... surtout seulement 15j après la Mil'Kil !

J'ai lu ton CR sur le site de Christophe et j'en reste (comme toujours) admiratif avec quelle précision tu arrives à raconter tout ça. Ici, ça me parle encore plus, ayant été au cœur de l'action durant le we en question !
Ravi d'avoir fait ta connaissance et d'avoir pu te croiser à plusieurs reprises sur cette course, notamment la première partie. C'était plus compliqué ensuite car le tronçon à problèmes entre CP6 et CP7 m'a demandé de nombreux A/R entre Thann et le CP7, du coup je n'ai plus eu l'occasion de revoir les coureurs de tête. J'ai fait la montée du Grand Ballon après 4 ou 5h du matin seulement (et m'être assuré que tous étaient bien arrivés à bon port au CP7).

Encore bravo pour ta course et merci pour ton superbe récit !
J'ai hâte de voir la restitution de la course faite par David le vidéaste et photographe qui nous a suivis sur l'U2B il y a 2 semaines !

Je mets ici les liens vers les teasers qui sont sortis récemment :
vimeo.com/439206715
vimeo.com/440055252
par Patrick57
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Réponse de Kélilan sur le sujet CR de l'Ultra Boucle des Ballons (204km)

Posted il y a 4 ans 3 mois #515027
Merci pour le CR, et bravo à vous 2 : Fabrice pour ta course parfaitement préparée et gérée, et Patrick pour ta participation à l'organisation, c'est pas rien non plus !
par Kélilan
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