S'équiper pour la course à pied

6'30" by Acera, Bis Repetita Placent au 1500.

  • acera
  • Portrait de acera Hors Ligne Auteur du sujet
  • Golden runner's
  • Golden runner's
  • Messages : 4385
  • Remerciements reçus 90

6'30" by Acera, Bis Repetita Placent au 1500. a été créé par acera

Posted il y a 11 ans 6 mois #238639
« _ Chuuuutttt, fais moins de bruit, tu vas finir par le réveiller !
_ Ha ! ça ne risque pas... regarde le ! il est rond comme une queue de pelle. Un Balrog pourrait lui faire dessus qu'il ne s'en rendrait même pas compte.
_ Pff, t'es con... T'es sûr que c'est lui au moins ? Il n'a pas l'air d'un fichu héros...
_ Pour sûr que c'est lui ! Mais méfie toi, j'ai déjà eu à faire à lui. Il n'en a pas l'air comme ça mais... regarde, toi ! Qui pourrait croire que t'es un champion ?
_ ça n'a rien à voir, tu le sais très bien. C'est un humanoïde et celui-ci est limité génétiquement. Ces humains qui croient en un puissance secrète enfouie en eux sans s'en être jamais rendu compte et, pire, ceux qui pensent qu'elle va se dévoiler au dernier moment pour leur sauver la mise sont encore plus naïfs que des marcassins. On n'est pas dans un conte de fée, il va se prendre une raclée, c'est tout...
_ ça n'empêche... Il reste dangereux, par exemple, moi, l'année dernière...
_ T'es pas une référence Jean-Pierre ! Fourre toi ça dans le crane, t'es mauvais... Tu pues, c'est peut être bien ta seule qualité mais t'es mauvais ! Allez viens, il ne faut pas traîner, je n'ai pas envie de faire face à une crise existentielle, il l'aura bien assez tôt.
_ Et qu'est-ce qu'on fait de ça ? On lui laisse ?
_ Lace les lui, il les découvrira à son réveil, en espérant qu'il ne soit pas dans le déni... »


Plic, Ploc, Plic, Ploc...
Acéra se réveilla doucement, bercé par cette goutte régulière s'échappant d'un fût de mauvais alcool. Ce son l’apaisait, cette certitude qu'après chaque Plic, le Ploc ferait suite et qu'à tout Ploc, le Plic surviendrait. Régularité rassurante, tout s'explique. Ploc... L'angoisse du lendemain, l'impossible projection dans un avenir meilleur font que le fût, de part sa contenance, laisse envisager une lueur d'espérance. Acéra aurait souhaité rester dans cette semi réalité du réveil, sa conscience encore vaporeuse lui donnait un répit et il s'y accrochait. Plic... Douce goutte ! Ploc... Encore une et je me lève. Plic... Une dernière...
Plus rien. Le fût était vide. Encore une mauvaise journée qui s'annonce pensa-t-il et la moiteur de la cave sombre dans laquelle il avait sombrée la veille ne le fit pas réévaluer son ressenti. Encore une journée... L'ajourner ne servirait à rien, prenons la en main et, ce soir, nous nous coucheront tôt.
Un peu clopin-clopant, Acéra sortit de son bouge. Clop, Clop, Clop... Qu'ils sont plaisants ces pas, pas rassurants par leur allure mais ce son l'apaisait. Cette certitude qu'après chaque pas en viendrait un autre, ce pas menant au lendemain, allongeant le chemin parcouru, toujours un peu plus loin. Sûrement, on avance. De manière quelque peu mécanique, pas toujours dans la bonne direction, quelques fois sans aucun sens, on avance. Acéra l'avait bien compris, peu de choses sont indispensables, mettre un pas devant l'autre reste la seule garantie que l'on puisse encore arriver quelque part.

« Bonsoir Richard, peux-tu me mettre une cervoise, s'il te plaît, je sens que la nuit sera longue...
_ Acéra, tu fais ta tournée cette nuit ? Comme ça demain, c'est toi qui la payera, ça changera ! Et, qui sait, tu régleras peut être ton ardoise...
_ Richard, on en a déjà discuté cent fois, tous les soirs je file à la grève. Je te payerai... en temps venu. Il paraît qu'ils recrutent dans la plaisance. Que veux-tu, la misère ne sévit pas partout de la même manière...
_ Et oui mon pauv' gars. Au moins, avec des gars comme toi, je ne risque pas de fermer boutique. Allez, bonne soirée moussaillon et, à défaut, reviens te faire payer un godet. »

Le long du remblai, les vagues s'écrasaient, le ressac associé au vent offrait des ailes à l'écume. La bruine caressait le visage d'Acéra, même s'il ne percevait pas sensiblement cette douceur, son renfermement laissa entrer une bouffée d'air iodé. Une bouffée d'air, comme un soupir, qui emplit les poumons et, par le souffle, expulse toutes les tensions laissant place à un sentiment de sérénité. Ce sentiment, Acéra ne l'avait que rarement goûté, seulement un vague souvenir peut être.
Arrivé au port, l'animation le fit sortir d'une rêverie solitaire. Il fallait de l'action et faire en sorte, pour une fois, d'obtenir de quoi nourrir son homme. Devant les armateurs, Acéra passait sa route, seuls les Trolls étaient assez bêtes pour être recrutés aux gréements et ce malgré leur détestation de l'eau mais, parait-il, l'humidité a un effet surprenant sur les négociations en cours et propositions totalement injustes d'exploitation journalière payée au taux horaire d'un mousse. En effet, la plupart du temps, l'employeur s'en sort en faisant signer tous ses contrats à large cote, soit l'on signe, soit l'on rentre à la nage mais, parole de Troll, à force de tirer sur la corde et de désagréments, il y a régulièrement de la casse.
Sur la place de la grève, le monde s'était déjà éparpillé, les marins partis en mer, la poissonnière partie au loin, au moins cette nuit ne sera pas perdue pour tout le monde. Encore une tournée à vide, Acéra remonta la grande place pour gagner du temps, son ardoise avait déjà le bras bien assez long. C'est alors qu'il croisa un vieil homme. Il changea naturellement de trottoir, sans trop savoir pourquoi, mais la scène retint son attention.

Comme par enchantement, il se retrouva à coté du vieillard et contempla le mur sans rien y voir. Drôle de situation que d'être face à un mur vierge et de n'avoir rien à dire... Que dire... Rien. Ce silence, contenu d'un vide consistant, s'épaississait tellement que tout devint clair. La partie basse du mur s'illumina, des fuseaux de lumière scindèrent chaque brique laissant ainsi prendre forme un halo étincelant. Le vieil homme ne dit mot, il avança vers la lumière. Acéra ne recula pas mais, comme englouti par cette masse auréolée, se vit franchir ce qui pouvait être perçu comme une porte, la porte d'un autre monde.
Lumineux, ce ne pouvait être que le reflet du bonheur. Le rire des enfants rendait l'attrait presque touchant, une musique s'entendait au loin, le paysage au doux relief incrusté de ciel bleu faisait ressortir les fleurs multicolores et la rigole qui serpentait au fond de la vallée. À quelques centaines de mètres, un clocher juché sur un promontoire laissait deviner un espace vers lequel tous deux se dirigeaient. La musique s'intensifia, des odeurs fragiles embaumèrent le lieu d'une manière si intense qu'elles donnaient envie de danser. C'était un tourbillon de couleurs et de gaieté assemblées. En son centre, Acéra ne sut où donner de la tête. Des montagnes Russes, de la Barba-papa, des cris en tout sens, un carrousel ! Qu'il était beau ce manège, il tournait, il tournait... Acéra piaffait comme un cheval de bois, l'envie était forte, sautiller de joie en hurlant qu'il voulait y aller, il en voulait un lui aussi !
Il se retint, il ne put plus faire un pas, il le voulait pourtant ! Un pas, un tout petit pas et il serait heureux... Impossible, il ne pouvait pas...
Alors, le vieillard se tourna vers lui et le regarda plein de compassion. Il avait un regard enfantin, rieur et pétillant de joie. Il le regarda et poussa Acéra d'un mètre en avant. La bonne âme ! il avait cédé sa place au jeune homme. Enfin, Acéra allait pouvoir tourner, tourner, tourner jusqu'à plus soif. La valse lui prenait les bras et le coeur, emmenant l'ensemble de son corps dans la danse : Un, deux, trois, un, deux, trois, un, deux trois...

Un, deux, trois, pan ! Le coup de pistolet retentit...
Hébété, Acéra prit sur lui pour ne pas fondre en larmes lorsqu'il découvrit l'arène Gallo-Romaine. Bis Repetita Placent... Il se souvint de tout, de trop, deux gouttes s'échappèrent tout de même de ses glandes lacrymales. Plic... Ploc... C'était son départ. 1500 mètres dans le manège, il regarda l'horloge, bénit sa bonne étoile d'avoir une nouvelle paire de Running étincelante aux pieds. Il était lancé...

Au premier temps de la valse, le départ est comblé d'émoi.
1500 mètres, il le savait, cette fois-ci, il ne fallait pas partir trop vite. Acéra jeta tout de même un coup d’œil autour de lui. Il chercha du regard ses adversaires qu'il faudra sûrement piétiner pour ne pas se faire écraser soi même. Il ne vit personne... Pourtant, ils étaient là, quelques parts, il les sentait, les acclamations du public, hystérique dès les premiers mètres, ne lui étaient pas particulièrement destinées. Acéra le savait, ils voulaient de la sueur, des litres de sueur ! Ils étaient là pour ça, certains avaient attendu ce moment depuis des jours, des semaines, depuis une année entière ! La soif de sueur se lisait dans leurs yeux exorbités, la bave dégoulinante s'agglomérait en une enceinte délimitant l'espace hostile. Ces bêtes immondes se gorgeaient du nectar des athlètes, les muscles saillants n'étaient qu'une mise en appétit. Ils voulaient de la sueur ? Ils en auraient !
Acéra avala les deux cents premiers mètres en 50'' puis prit un rythme qui semblait bon. Il continuait sans se poser de question, seul, pour le moment. Où étaient-ils? Acéra entendait leurs râles, ils ne devaient pas être tant éloignés de lui. Il aurait même juré sentir un souffle de suidé le long de sa nuque. Serait-il revenu pour se venger ? Impossible, l'odeur l'aurait trahi...
53'', deux cents mètres supplémentaires. La difficulté était d'ors et déjà bien présente ! Rien ne sert de penser, il faut avancer. L'automatisation des jambes avait du bon. 57'', Acéra sentit une présence qui le glaça , il semblait discerner une masse informe dans la sortie du virage. La dame blanche avait-elle eu vent de sa sortie de route imminente ? Il se redressa physiquement mais surtout mentalement pour oublier. Oublier le plus possible son état qui, il le savait, ne ferait qu'empirer à chaque mètre, chaque décimètre en plus serait une souffrance supplémentaire. Il le savait. Il reprit son rythme...
53'', c'était difficile. La douleur est un rappel du réel, ce sentiment d'être encore vivant malgré la volonté que tout s'arrête. La tranquillité du néant. Sa vision se troublait progressivement, inexorablement... Afin de souffrir en toute quiétude, Acéra ferma les yeux quelques secondes. Son ouïe renvoyait de nouvelles images, ils étaient là, signe que la course débutait précisément à cet instant.
54''. Furtivement, un gobelin réajusta ses lunettes, sorti tout droit d'un Stuka, son angle d'approche n'inspirait pas confiance. Pas besoin d'avoir l'air intelligent pour se mouvoir rapidement. Suivi d'un trampoline muni d'un gyrophare bleu et d'un croque-mitaine en train de hurler des signes au sémaphore, Acéra aurait sûrement préféré demeurer aveugle mais... il y était, il y resterait. On ne lui fera pas le coup deux fois de suite, il reste un tour de manège et on ne l'en priverait pas ! 54''...
La fin était proche... ça pique, épique, école et grammes, c'est lourd, léger, fondant et fin à la fois, plus rien à maudire, plus aucun plaisir, il était temps, il fallait en finir.
53'' et il restait cent mètres. Un dernier coup de collier, la cravache incandescente, sa paire de running commençait à prendre feu. Accélère ! Plus vite tu iras, plus vite cela se terminera !
Au dernier temps de la valse, 21'' aux cent mètres, ils auraient pu en faire un prix de gros. Mais le gros avait déjà disparu...

La mer était calme, les goélands traquaient les goélettes, la poissonnière les poissons. La brise réorganisait la chevelure de notre héros qui rêvait d'un monde nouveau. Il saisit alors son parchemin authentifiant un nouveau record, puis finit sa dernière bouteille de rouge pif.
Si par hasard, cher lecteur, vous traversiez quelques routes, les sentiers vous feront déambuler jusqu'à la rive et ,un jour , vous passerez par là, vous penserez à votre cher Acéra et vous vous direz :

_ Qu'est-ce qu'il faut être con pour s'entraîner toute l'année afin de finir un 1500m en 6'35''...
Last Edit:il y a 11 ans 6 mois par acera
Dernière édition: il y a 11 ans 6 mois par acera. Raison: orthographe

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Réponse de garth0 sur le sujet Re: 6'30" by Acera, Bis Repetita Placent au 1500.

Posted il y a 11 ans 6 mois #238653
Excellent. :)
par garth0

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Réponse de RunningZap sur le sujet Re: 6'30" by Acera, Bis Repetita Placent au 1500.

Posted il y a 11 ans 6 mois #238657
garth0 écrit:

Excellent. :)


Excellentisime! Bravo acera pour ta course et ton CR qui est une petite perle ;)

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Réponse de ladysnail sur le sujet Re: 6'30" by Acera, Bis Repetita Placent au 1500.

Posted il y a 11 ans 6 mois #238660
Vraiment perché ce garçon :huh: :dry: :kiss:
Les neurones ont du souffrir d'un manque d'oxygène pendant 6'35" ! :lol:
par ladysnail

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Réponse de Ouilliv sur le sujet Re: 6'30" by Acera, Bis Repetita Placent au 1500.

Posted il y a 11 ans 6 mois #238667
+1 :)
par Ouilliv

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Réponse de provista sur le sujet Re: 6'30" by Acera, Bis Repetita Placent au 1500.

Posted il y a 11 ans 6 mois #238668
superbe, bravo Acéra , j'ai pris plaisir à te lire. Et moi je dis que ça valait le coup de s'entraîner 1 an ;)
bonne suite pour tes prochains objectifs
par provista

Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.

Votre nutrition sportive sur marathon

Temps de génération de la page : 0.235 secondes