Jean Caby, Monique Ranou et Charles Gervais présentent :
La course d’Atom Heart sur le semi-marathon Bazas-Langon
Une fois encore, France Télévisions avait prévu de mettre de gros moyens pour couvrir le semi-marathon Bazas-Langon. Les droits de diffusion de cet événement étaient sur le point d’être obtenus de haute lutte après d’âpres négociations face à Al Jazeera, Eurosport, ESPN et Orange !
Paraît-il que le Président de France Télévisions, Rémy Pflimlin lui-même, était intervenu pour mettre la pression sur le gouvernement afin d’augmenter les droits de redevance audiovisuelle et de permettre au Service Public de prendre un crédit revolving Cetelem à perte de vue au taux de 17% pour obtenir l’exclusivité sur la retransmission de cet événement !
Le Service des Sports avait mis sa meilleure équipe sur le coup, adapté sa grille des programmes aux horaires de la compétition - Jean Abeilhou avait même accepté de supprimer exceptionnellement son “Rencontres à XV” dominical - pour éviter la fronde des téléspectateurs mécontents. Patrick Montel avait dû toutefois jurer la sueur au front, sur la tête de Lionel Chamoulaud que la retransmission ne durerait pas plus de 3 heures.
Las, c’était sans compter sur la défaillance technique de la moto de Laurent Jalabert, victime d’un serrage moteur à quelques jours de l’épreuve, après que ce dernier eut tenté en vain de faire la course contre Alberto Contador, le viandard ibère et son vélo…
Impossible alors de couvrir cette course dans de bonnes conditions… Tout le monde préférait jeter l’éponge en se contentant simplement de reprendre le résumé de la course qui paraîtrait certainement dans le journal Sud-Ouest dès le lendemain…
Pour ma part, il était clair que les 10km d’Arcachon avaient bouleversé mon quotidien. Après avoir eu le privilège d’être interviewé par le célèbre entraîneur Gilles Dorval, je ne cessais de répondre aux sollicitations des médias, dont la plus récente était
un témoignage de mes débuts pour Jogging International
. Cet accès à la gloire m’avait d’ailleurs permis de satisfaire quelques caprices et de rouler dans une
somptueuse limousine noire
, conduite par Papatomheart, mon chauffeur personnel. Ceci ajouté à mes performances sportives hors du commun, j’étais devenu une star. En toute modestie bien entendu.
Jordan, mon compère habituel sur les courses, n’était pas en reste, mais préférait ne pas m’accompagner sur le Bazas-Langon, bien trop occupé à bichonner le
rutilant véhicule
qu’il venait d’acquérir avec l’argent des contrats publicitaires qu’il touchait pour vanter les mérites d’un forfait internet révolutionnaire (par l’époque, pas par les prestations… mais ceci est une autre histoire).
En arrivant à Bazas vers 9h30 ce 4 mars, je me faufile donc dans l’anonymat du peloton… Le temps est gris et pluvieux. Le départ du semi-marathon sera donné dans 30 minutes environ.
Tout ça pour savoir combien font 7x8…
Je le concède, répondre à une question aussi fondamentale et existentielle que celle-ci, surtout quand on est en train de courir, impose un minimum de réflexion. On ne peut pas y répondre à la légère. D’ailleurs, au moment où je me la pose, je repense à Yann (Ymeguira) et ses problèmes de soustraction… pour en arriver au constat que je suis bon moi aussi pour un retour en CE1. #chérie-tu-as-un-nouvel-élève-dans-ta-classe
J’en arrive à cette conclusion après avoir mis un temps infini à trouver la solution. J’ai alors bien compris que mon neurone me laisserait tranquille sur ma stratégie de course. Sa seule obsession ? Elle tourne en boucle… « 1h59’, 1h59’, 1h59’…»
Cours et arrête de réfléchir.
A vrai dire, je n’ai même pas commencé. A réfléchir. Pour le reste, cela fait déjà 8 kilomètres que je m’y emploie. Je sais qu’il faut que mon allure se situe à 5’41’’ de moyenne. Or pour l’instant, celle-ci est de 5’48’’… J’ai donc déjà accumulé une perte de 7’’ par km depuis 8 km…
Alors, combien font 7x8 ?
C’est la première fois que je ressens avec autant d’insistance la pression de l’objectif chronométrique. La préparation tout comme la course d’un semi-marathon sont exigeantes et pour moi, échouer ne serait-ce que d’une seule seconde par rapport à la limite de 1h59’59’’… prouverait la pathétique inutilité d’avoir renoncé à prendre le moindre apéro dans les 15 jours précédant cette épreuve. Mon chrono contre un Talisker !
Donc, combien font 7x8 ?
En fait, ça dépend. Tantôt 54, tantôt 72… C’est avec la certitude que 7x9 font 63 et que 63-7 ne doivent certainement pas faire 54 que j’ai compris que j’ai définitivement oublié le reste de mon cerveau au fond de mon sac en partant de Bazas, il y a 8 kilomètres de ça… Seul un pauvre neurone égaré est resté là… Et celui-là, c’est pas une flèche en calcul mental.
Malgré tout, au bout d’un effort surhumain, je trouve enfin…56… La réponse c’est 56… Fier de cette trouvaille, j’en informe immédiatement mon neurone qui en guise de réponse me lance « 1h59’ ! 1h59’ ! ». Pourtant, à ce moment de la course, j’ai donc perdu…56’’ sur mon plan de marche depuis le départ.
Et encore, j’ai bien rattrapé mon retard puisque comme à mon habitude, je suis parti tout au fond du peloton de 700 participants et j’ai slalomé de longues minutes au milieu du flot de coureurs pour trouver mon rythme… Bref, cela fait 8 kilomètres que je cours après le temps perdu, jusqu’à espérer voir s’afficher une allure moyenne de 5’41’’/km sur mon Garmin. Et ceci au mépris de toute prudence concernant ma fréquence cardiaque. Je tape régulièrement du 90% et ce, depuis les premiers hectomètres, mais très curieusement, les sensations sont très bonnes. Je n’ai vraiment pas l’impression de pousser, même dans les nombreuses montées où pourtant certains se mettent déjà au rupteur.
J’avance ainsi jusqu’à la mi-course où mon allure moyenne depuis le départ se stabilise à 5’44’’… Obsédé par la rengaine de mon neurone qui ne cesse de me souffler du 1h59’ à l’oreille, je n’ai même pas regardé une seule fois mon chrono depuis le début de la course… Je prends un verre de glucose, bois tranquillement et fais un point rapide sur ma course.
Lorsque je repartirai, je chercherai à profiter du moindre faux plat descendant pour, non pas récupérer de mes efforts, mais au contraire accélérer pour tenir du 5’28’’ à 5’35’’ entre le 9ème et le 12ème kilomètre. Je sais que je peux payer cette attitude kamikaze mais ma détermination – mon entêtement même – aura raison de tout le reste. Je ne gèrerai rien du tout. J’entendrai juste mon neurone hurler dans ma tête : 1h59’ ! Mon Garmin affichera un rythme moyen en 5’43’’…
Et que dira-t-il ensuite, mon neurone, quand j’arriverai au 17ème, avec un début de fatigue, les adducteurs sensibles, le haut-parleur encore lointain annonçant les arrivées Place Kennedy, et des coureurs autour qui commenceront à marcher… Bah, ce sera toujours la même tête de mule mon neurone, et il me répètera toujours la même chose… 1h59’ !
Et au 19ème, quand il faudra monter cette fichue côte à 10% sur 150 mètres - une éternité!- avec les quadriceps en ébullition avant d’attaquer l’assaut final sur Langon. Le même. Il ne saura dire que ça, pourtant là, je suis sûr que je trouverai réconfortant que mon neurone me supporte un peu plus, comme le font si chaleureusement Mamatomheart, Papatomheart et Missatomheart que je vois régulièrement depuis le départ pour m’encourager à certains points stratégiques du parcours…
Et au 20ème tiens, quand je me mettrai à accélérer pour accrocher ce temps qu’il rêve tant d’avoir mon neurone ? Que me dira-t-il ? Bizarrement, Monsieur deviendra fin psychologue, sentant que peut-être je suis en train de tout donner alors que je devrai enquiller le faux plat montant de 500 mètres de la rue du Baron puis encore 350 mètres sur le Cours du Général Leclerc avant de tourner à gauche pour apercevoir enfin le portique d’arrivée à 150 mètres … Il me dira d’énumérer tous les pseudos du forum CCAP qui me passent par la tête. Jusqu’à l’arrivée… Une personne, un pas. J’avancerai ainsi en ayant l’impression que ce n’est plus moi qui court. Je serai porté jusqu’au bout.
Je découvrirai enfin le chrono juste avant de franchir la ligne. « 1h59’15’’ ». Mon neurone ne dira plus rien, parce que lui non plus n’en reviendra pas que cela soit possible. Entre le rire et les larmes, je jetterai alors un rapide coup d’œil, là-haut, dans le ciel, comme je le fais à chaque fois.
Toi, tu sais que je peux y arriver. J’en suis sûr.
Mais je m’égare dans mes pensées. Parti depuis 1h00’30’’, je me suis arrêté quelques secondes au ravitaillement de la mi-course pour prendre un verre de glucose et je m’apprête à repartir. Dans très exactement 58’45’’, j’atteindrai mon objectif... et je pulvériserai mon précédent record de plus de 24 minutes.
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), mais je sais que 5'39 * 21.1 font 1h59'15''!
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